Appel à contribution numéro thématique Penser les humanités environnementales
« La notion d’environnement ne doit en aucun cas être confondue avec le concept de nature. Car le monde ne peut exister comme nature que pour un être qui n’en fait pas partie, et qui peut porter sur lui un regard extérieur, semblable à celui du détachement objectif de la science, à une distance telle qu’il est facile de céder à l’illusion qu’il n’est pas affecté par sa présence. La distinction entre l’environnement et la nature correspond à une différence de perspective : nous considérons- nous comme des êtres à l’intérieur d’un monde ou comme des êtres à l’extérieur de celui-ci ? Nous avons par ailleurs tendance à penser la nature comme si elle était extérieure non seulement à l’humanité […], mais également à l’histoire, comme si le monde naturel n’était que le décor immuable où se déroulent les activités humaines. Pourtant les environnements, dans la mesure où ils ne cessent de se renouveler au cours de nos vies – puisque nous les façonnons tout comme ils nous façonnent –, sont eux-mêmes fondamentalement historiques. Il nous faut donc être méfiants devant une expression aussi simple que celle d’« environnement naturel », car, en associant les deux termes, nous avons tôt fait de nous imaginer que nous transcendons le monde, et que nous sommes donc en position d’intervenir dans ses processus ». Tim Ingold, The Perception of the Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill, Londres, Routledge, 2000.
Les humanités environnementales constituent un domaine de recherche interdisciplinaire diversifié et émergent qui cherche à analyser et à étudier les interrelations complexes entre l’activité humaine (culturelle, économique, politique) et l’environnement, au sens le plus large. Aujourd’hui, la question environnementale se trouve au cœur des débats universitaires et politiques. L’analyse et le traitement des problèmes environnementaux nécessitent une compréhension de la relation réciproque entre nature et culture, entre sciences, sciences sociales et sciences humaines.
Résolument interdisciplinaires, les humanités environnementales doivent permettre la rencontre de la sociologie, de la philosophie, de l’histoire, de la géographie, de la psychologie, de l’ethnologie, des études littéraires ou encore des sciences politiques, économiques et juridiques. Si l’émergence intellectuelle et institutionnelle des domaines d’étude relatifs à l’environnement s’est fait sentir il y a une trentaine d’années déjà, le croisement des regards et des réflexions qu’ils mettent en jeu semble encore à consolider : non seulement pour intégrer la question environnementale de manière plus centrale dans les sciences humaines, en tant qu’entreprise intellectuelle, mais également dans l’optique de connaître la manière dont la culture humaine façonne les impacts environnementaux, les débats sur l’environnement et les réglementations de toutes sortes.
En effet, si des courants spécifiques interrogeant le rapport à l’environnement et la question des ressources naturelles (histoire de l’environnement, philosophie et éthique environnementales, sociologie de l’environnement, écocritique, économie de l’environnement, etc.) constitue un champ de recherche majeur dans le domaine des sciences sociales et humaines, il semble nécessaire que cette prise en charge progressive, qui s’est construite aux marges des disciplines, fasse la part belle aux approches interdisciplinaires mobilisant une large gamme d’« objets », sans pour autant que l’hétérogénéité des approches conteste la spécificité heuristique des humanités environnementales : comment l’activité humaine (historique, contemporaine et imaginaire) façonne-t-elle le monde qui nous entoure ? Comment la recherche d’une telle activité peut-elle contribuer à une compréhension plus approfondie de l’environnement ? Et que révèlent des modes d’investigation historiques, scientifiques, esthétiques ou fictifs sur notre relation avec le monde « naturel » ? Les concepts scientifiques, tels que la biodiversité, se réfèrent souvent aux zones les plus vierges du monde. Mais la plupart des parties de la terre sont sédentarisées, cultivées et leur nature est irréversiblement hybride. La biodiversité ne peut être conçue efficacement sans comprendre les environnements anthropiques. Les humanités environnementales constituent un moyen d’analyser ces changements. La pluralité des débats et des controverses passés, doit servir d’impulsion pour la mise en valeur et la représentation des savoirs et des connaissances des sciences humaines et sociales au prisme de l’environnement.
Ce numéro de la revue Sociétés a pour vocation de réunir des réflexions permettant de croiser les approches interdisciplinaires traitant des enjeux environnementaux en sciences humaines et sociales (économie écologique, green political theory, political ecology, sociologie environnementale, …) avec une série d’objets autour desquels les discours sur l’environnement se cristallisent actuellement. Les notions de milieux et d’Umwelt, la mésologie, les ambiances esthétiques, le paradigme écosophique, l’aménagement de l’urbain et du suburbain, la présence et l’agentivité du non-humain, les notions de risque et les théories de l’effondrement, les nouveaux leaders d’opinion, le politique et le transpolitique, les diverses formes de militantisme et d’activisme, l’économie verte, le juridique, les imaginaires collectifs et les représentations sociales des environnements, les écofictions ou encore la green architecture et le design environnemental sont autant de propositions d’entrées d’une liste non-exhaustive.
Les propositions de contribution en français sous forme de résumé de 1500 à 3000 signes (espaces compris) maximum précisant la question centrale, le cadrage théorique et/ou méthodologique de l’argumentation sont attendues pour le 1er septembre 2019 aux adresses suivantes : marianne.celka@univ-montp3.fr et bertrand.vidal@univ-montp3.fr
Calendrier :
- 20 septembre 2019 sélection des propositions. Les auteurs seront informés de la sélection et des consignes éditoriales pour la soumission de leur article ;
- 20 décembre 2019 réception des articles pour relecture et évaluation en double aveugle pour une publication définitive prévue au 1er trimestre 2020.
Bibliographie de référence (non-exhaustive)
Augoyard J.-F., « L’environnement sensible et les ambiances architecturales », Espace géographique, tome 24, n°4, 1995. pp. 302-318.
Berque A., Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Belin, Paris, 2014.
Blanc G., Demeulenaere E., Feuerhahn W., Humanité environnementales. Enquêtes et contre- enquêtes, Éditions de la Sorbonne, 2017.
Blanc N., Vers une esthétique environnementale, Édition Quae, Paris, 2008. Dagognet F., Considération sur l’idée de nature, Vrin, Paris, 2000.
Descola Ph., Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005. Douglas M., Natural Symbols, Routledge, Londres-New York, 2003.
Dupuy J.-P., Pour un catastrophisme éclairé : quand l’impossible est certain, Édition du Seuil, Paris, 2004.
Guattari F., Les trois écologies, Galilée, Paris,
1989.
Guattari F., Qu’est-ce que l’écosophie ?, Édition lignes, Paris, 2018.
Houdayer H., L’Appel de l’environnement : Sociologie des pratiques écologiques, Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier, 2014.
Ingold T., The Perception of the Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill, Londres, Routledge, 2000.
Moscovici S., De la nature : pour penser l’écologie, Paris, Métailié, 2002.
Naess, A., Écologie, communauté et style de vie (1990), trad. de l’anglais par Charles Ruelle, Éditions MF, Paris, 2008.
Scherer R., L’écosophie de Charles Fourier, Economica Anthropos, Paris, 2002. Serres M., Le contrat naturel, Flammarion, Paris, 1992.