Cher.e.s membres et ami.e.s du Centr’ERE,
D’abord, il nous importe de vous adresser toutes nos pensées solidaires au cœur de la situation critique actuelle qui nous affecte tous et toutes de différentes façons. Nous espérons que vous et vos proches êtes en sécurité et que vous parvenez à trouver malgré tout des moments de sérénité et des souffles d’espoir partagés à travers les difficultés, les inquiétudes et les pertes, qui pour certain.e.s peuvent s’avérer bien lourdes.
Malgré l’annulation des activités prévues ce printemps et grâce à l’effort à distance de l’équipe, le Centr’ERE poursuit les travaux en cours et diffuse les productions et les initiatives des membres (site web et Facebook). Nous restons surtout bien attentifs aux implications de cette crise pour notre champ d’action éducative. En ce sens, nous vous acheminons le message suivant, comportant une invitation.
Certes, en raison de notre engagement en éducation relative à l’environnement – à titre de chercheur.e.s, enseignant.e.s, étudiant.e.s, animateurs, animatrices, responsables de programmes éducatifs, etc. -, nous sommes tout particulièrement interpellés par cet intense moment historique du COVID 19. Au cœur et aux lendemains du grand confinement collectif, notre tâche devient cruciale et plus que jamais, dira-t-on à nouveau comme depuis plus de 40 ans (!), mais cette fois, dans un contexte exceptionnel où pourrait se produire enfin le basculement tant attendu vers d’autres façons de vivre ensemble sur Terre, à moins que ne reprennent en force les tentatives de désamorcer les foyers de résistance au système en vigueur et son insoutenable course vers la « croissance ». À l’issue du grand choc pandémique, nous vivrons donc sans doute une situation de double tension plus vive encore que jamais : nous devrons à la fois contribuer à renforcer la résistance critique à un modèle dont les dérives sont dramatiquement mises à nu, et stimuler de nouveaux imaginaires politiques et de nouvelles pratiques socio-écologiques. Chaque initiative de conscientisation et de mobilisation aura toute son importance.
La « crise sanitaire » actuelle met en évidence de nombreuses dysfonctions concernant notre façon d’habiter en commun au creux de ce monde vivant, de même que les causes structurelles de celles-ci. En particulier, les liens entre les pandémies et l’intensification de l’exploitation industrielle massive de la nature sous toutes ses formes d’extractivisme, causant la destruction des écosystèmes et par conséquent, la perte des habitats naturels du monde animal; l’impact sur la santé environnementale de la transformation de vastes territoires en « zones de sacrifice » sur cette « planète marchandise », et celui de nos modes de production alimentaire industriels, dont l’élevage intensif ; la pollution de l’air liée aux choix énergétiques, comme le montrent actuellement les images satellitaires des régions affectées, avant et après les mesures d’urgence.
La crise que nous traversons est aussi un puissant révélateur de notre interconnexion planétaire. Elle met en évidence les inégalités et les vulnérabilités sociales à l’échelle des communautés et des régions, comme à l’échelle globale. Avec l’entrave soudaine des rouages de l’« économie de marché », on peut percevoir également toute l’ampleur de la fiction financière, de cette « abstraction réelle » qui régule nos vies, et dont témoignent par exemple la génération spontanée de budgets ou la fluctuation boursière. Le récent leadership des gouvernements face à la crise sanitaire manifeste une résurgence de l’État qui dans certains cas, semble s’affirmer hors de l’étau de la gouvernance économique. Cette situation montre qu’il est possible de prendre le gouvernail pour affronter une telle crise et que par conséquent, il devient plus que jamais intolérable de ne pas assumer avec autant d’intensité la « crise » environnementale, dont le nombre de victimes ne cesse de s’accroître.
Cette période de ruptures brusques et multiples aura eu aussi l’avantage de nous permettre d’interroger de façon radicale ce qui nous relie en tant que communauté et de mettre en lumière l’idée du commun. On voit se déployer diverses formes de solidarité et des avenues de créativité répondant à l’exigence de vivre autrement. Le champ des valeurs fondamentales refait surface au fil des constats et des questionnements. Le sens de la responsabilité individuelle et collective est interpellé. Dans la distance et l’isolement, on réapprend l’importance de la reliance, de la nécessaire chaleur du rapport à l’autre. Cette décroissance imposée invite aussi les plus riches à l’école du partage et de la frugalité; elle soulève les questions de justice et de vulnérabilité au sein des sociétés. On peut espérer que ce printemps 2020 aura été celui de l’éclosion d’une réflexion collective sur notre façon de vivre ensemble sur Terre, lançant un appel à une véritable politique du commun auprès des institutions.
Dans ce contexte fort inquiétant, qui ouvre paradoxalement tout le champ des possibles, se pose bien entendu la vaste question de notre engagement en tant qu’acteurs du monde de l’environnement et de l’éducation. Quels sont, quels seront les objectifs prioritaires de l’éducation relative à l’environnement? Quels apprentissages privilégier? Comment mettre en évidence les liens systémiques entre les pandémies et les réalités socio-écologiques dans une perspective de transformation sociale? Quels types de projets envisager? Avec qui, auprès de quels publics? Où, quand comment?
À cet effet, le caractère multidimensionnel et systémique de la crise actuelle devient l’occasion privilégiée de revoir entre autres diverses propositions du champ de l’écologie politique et de la pédagogie critique. Nous attendrons vos contributions à cet effet. Pour l’instant, on peut mettre en lumière la proposition des « trois écologies » de Félix Guattari[1]. Ce psychothérapeute devenu philosophe, mais toujours militant politique, insistait sur la nécessité d’intégrer entre elles les trois sphères de l’écologie humaine : l’« écologie mentale », impliquant la dé-construction des subjectivités individuelles et collectives programmées et aliénées, et la reconstruction de ces subjectivités dans une perspective d’authenticité, de territorialisation et de capacité créative ; l’« écologie sociale » et sa dimension politique essentielle pour contrer ce qu’il appelle le « capitalisme mondial intégré »; et l’« écologie environnementale », qu’il a somme toute peu développée – et que nous pourrions contribuer à mieux cerner. « J’ai pensé que la seule chose qui existe d’un peu vivant dans la pensée contemporaine, c’est certainement ce qui bouillonne autour de la pensée écologiste »[2]. Celle-ci, poursuivait-il, doit être associée à « toute une remise en question des systèmes éthiques », à un « engagement éthique ». Il propose à cet effet le gouvernail de l’écosophie.
Ces « trois écologies » se superposent également à la matrice des trois sphères interreliées du développement personnel et social à la base du développement humain : le rapport à soi-même (personne et groupe social), le rapport à l’autre humain et le rapport à oikos, notre maison de vie partagée. Si l’éducation relative à l’environnement se penche plus spécifiquement sur la troisième sphère – grande oubliée des systèmes éducatifs – elle ne peut certes être envisagée qu’en fonction de ses liens étroits avec les deux autres.
Or comment articuler mieux encore ces trois sphères d’une éducation écologique globale? Nous vous invitons donc à partager vos réflexions, questions, propositions et ressources. Collectivement, nous pourrons construire une « intelligence pédagogique », de façon à mieux envisager nos recherches, nos interventions et notre action éducative au cœur et aux lendemains de cette pandémie.
Cet effort de réflexion commune pourra donner lieu à un bilan où les contributions de chacun.e seront identifiées et valorisées. Une publication pourrait en ressortir. Les résultats d’un tel exercice permettront également d’actualiser le « livre vert » de la Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté[3], dont il importera de faire la relance.
À cet effet, nous ouvrons dès maintenant deux espaces d’échanges virtuels:
Un document de veille médiatique
https://docs.google.com/document/d/1yzGYX6LwIN4fW_OyxbPqMIQI3Fmw_nF-0qMiCU1sy0E/edit
Ce document présente quelques éléments d’une veille médiatique, rassemblant des articles et des documents qui ont récemment émergé dans les médias et qui témoignent de divers aspects de la crise actuelle. Vous êtes invité.e.s à poursuivre cette veille en y intégrant les articles et les documents qui vous paraissent particulièrement pertinents pour mieux examiner l’un ou l’autres des aspects de la crise actuelle. Peut-être souhaiterez-vous ajouter de nouvelles catégories également.
Un document collaboratif de réflexions, questions, propositions et ressources
https://docs.google.com/document/d/1r7o7CrGce-VThgsGJ2vgKQjYnWHIosZUgFpzPzIgxEs/edit
Toute contribution de votre part à cette initiative collective sera fort bienvenue! Il pourra s’agir de réflexions, de questions, de propositions ou de ressources, ou encore de commentaires ou de discussions concernant les contributions des autres participants à ce forum.
Vous êtes donc chaleureusement convié.e.s à y participer.
Au plaisir de vous lire!
Lucie Sauvé, Isabel Orellana, Gina Thésée, Vincent Bouchard-Valentine, Jérôme Lafitte, Hugue Asselin
Membres du Comité de direction du Centr’ERE
p.j. Version PDF de l’invitation
[1] Guattari, F. (1989). Les trois écologies. Paris : Galilée.
[2] Guattari, F. (2018). Qu’est-ce que l’écosophie? Textes présentés et agencés par Stéphane Nadaud. Paris : Éditons Lignes, p. 528.
[3]https://www.coalition-education-environnement-ecocitoyennete.org/wp-content/uploads/2019/07/Strategie-Edition-complete.pdf;