Appel à contributions pour le prochain numéro thématique – Volume 19 (1) de la Revue Éducation relative à l’environnement qui portera sur les pratiques philosophiques pour le développement du pouvoir d’agir écocitoyen
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Sous la direction de :
- Adolfo Agundez Rodriguez, Université de Sherbrooke, Québec
- Mathieu Gagnon, Université Laval, Québec.
L’éducation relative à l’environnement (ERE) est reconnue à l’échelle internationale comme un levier essentiel au développement d’un pouvoir d’agir écocitoyen, lequel est primordial au XXIe siècle (UNESCO, 2019 et 2020). Or l’état des connaissances dans le domaine montre que l’approche priorisée dans les politiques publiques, les curriculums et le matériel pédagogique de plusieurs pays se centre surtout sur la transmission de connaissances technoscientifiques (Pérez-Díaz, 2022 ; Agundez-Rodriguez, 2023), une transmission pouvant induire une forme de moralisme, voire de comportementalisme, oubliant la dimension critique et socioaffective de ce type d’éducation.
L’idée n’est certainement pas ici de négliger l’importance de telles connaissances, puisqu’elles sont essentielles, mais plutôt de les situer dans d’une perspective élargie prenant acte de la complexité d’une éducation globale, de ses défis et de son plein potentiel.
Tel qu’il est largement évoqué dans le champ de l’éducation relative à l’environnement, il importe de créer des conditions dans lesquelles les personnes auront la possibilité de développer leur pensée critique, leur créativité ainsi que leur bienveillance [caring] (Sauvé, 2014 ; Herrero, 2022 et 2023). Il s’agit d’une entreprise complexe (au sens de la complexité selon Edgar Morin), qui fait appel à des approches adéquates pour y parvenir, tout en évitant certaines dérives possibles.
Parmi ces approches, nous nous attarderons ici à l’adoption de pratiques philosophiques, que ce soit à l’école (en contexte d’éducation formelle), à l’extérieur et autour de celle-ci (en milieu d’éducation non-formelle), ou dans la cité (lieu d’éducation informelle), comme modalités présentant un potentiel fort intéressant pour l’éducation relative à l’environnement. En effet, depuis ses origines, ces pratiques sont considérées comme partageant des finalités communes avec l’ERE, notamment parce qu’elles visent, pour emprunter les mots de Sharp (1995, dans Gregory et Laverty, 2023), « la transformation des individus en personnes raisonnables et soucieuses [caring] d’autrui, plus engagées dans la création d’un monde juste et écologiquement équilibré » (p. 112). Différents éléments centraux sont convoqués dans ces propos. Tentons de les déplier un peu afin de problématiser plus systématiquement cet appel de textes.
Les pratiques philosophiques prennent différentes formes (ateliers et discussions à visée démocratique et philosophique, situations d’apprentissage philosophique, communautés de recherche philosophique, ateliers de réflexion sur la condition humaine, réfutation socratique, etc.) et ont été appliquées à différents domaines : art-création ; éducation éthique, civique, aux médias ou à la sexualité ; prévention de la violence ; apprentissage de la langue, des mathématiques, de l’histoire, etc. Néanmoins, peu importe les approches et les façons de les mettre en œuvre, certains points de convergence demeurent : en particulier, la volonté partagée de créer des conditions favorisant la mobilisation et le développement des pensées critique, créative et attentive ; la mise en route de processus de recherche visant la co-élaboration de sens ; la prise en compte des dimensions socioaffectives des démarches d’enquête ; le caractère social des apprentissages ; le rôle central de la problématisation, de la conceptualisation et de l’argumentation (voire de l’interprétation, selon Galichet) fondées sur le recours efficace à des habiletés cognitives et sociales.
À plusieurs égards, l’ERE partage des points d’ancrage communs avec les pratiques philosophiques. En effet, tel que le mentionne Sharp ([1995] 2023), elles poursuivent des visées de vie(s) bonne(s) – au sens donné par Paul Ricoeur. Celles-ci, considérant les enjeux et défis actuels, impliqueront inévitablement des changements dans nos façons d’agir, désormais fondées sur une nouvelle vision socio-politico-économique du monde. Or, tout cela ne peut advenir, toujours selon Sharp, sans une ouverture sincère à l’autocritique ainsi qu’à l’autocorrection, ce sur quoi se fondent précisément les pratiques philosophiques. Le développement d’un agir écocitoyen passe inévitablement par un regard (auto)critique et (auto)correctif sur nos valeurs, nos modes de penser, nos systèmes, nos manières de vivre, nos comportements et leurs conséquences. Il passe également par le recours à une pensée divergente et créatrice qui saura imaginer des solutions novatrices à des situations inédites. Il passe enfin et surtout par l’expression d’une sensibilité [caring] à soi, aux autres et à la nature. Ce sont là trois dimensions fondatrices des pratiques philosophiques et qui, tant en philosophie qu’en ERE, constituent des leviers du pouvoir d’agir.
Au-delà de la reconnaissance des relations entre l’éducation relative à l’environnement et les pratiques philosophiques, que serait-il permis d’espérer quant à leur combinaison ? Pourquoi, par exemple, recourir à des pratiques philosophiques en ERE ? Pourquoi convoquer des éléments d’ERE lors des pratiques philosophiques ? En quoi cela pourrait-il aider les personnes à développer leur agir écocitoyen, de manière plus solidaire et plus juste par exemple ? Quelles limites y a-t-il à cette combinaison ? Quels en sont les impacts sur les pratiques pédagogiques ? Quel est le potentiel de la pensée philosophique et transdisciplinaire pour le développement d’un pouvoir d’agir face à la crise environnementale et climatique ? Comment accompagner les citoyens et citoyennes, enfants, jeunes et adultes, pour faciliter le développement d’un tel pouvoir face aux divers enjeux environnementaux, qu’ils soient locaux ou globaux, à travers la pensée philosophique et transdisciplinaire ? Quelles pratiques, réelles ou possibles, peut-on envisager dans les contextes formels, non-formels et informels ? Quelles sont les conditions pour favoriser une telle éducation dans ces différents contextes ? Quelles valeurs, quels principes privilégier ? Ce sont là quelques-unes des questions qui guideront ce numéro thématique.
En guise de réflexion préliminaire, nous pourrions arguer que la combinaison ERE et pratiques philosophiques engage des apports réciproques. En effet, alors que toutes postures environnementales comprennent, de près ou de loin, des fondements théoriques que les pratiques philosophiques pourraient permettre de rendre explicites afin de les examiner, les pratiques philosophiques pourraient, quant à elles, gagner à recourir à des savoirs issus d’autres domaines, favorisant ainsi un décloisonnement disciplinaire duquel la philosophie pourrait tirer profit. À titre d’exemple, nous avons développé un modèle transdisciplinaire du pouvoir d’agir en contexte de crise environnementale et climatique (Agundez-Rodriguez, 2022).
Par contre, cette association entre ERE et pratiques philosophiques pourrait présenter aussi des limites, des tensions ou des dérives. Pensons par exemple aux travaux de l’équipe PhilETIC qui s’inquiète du risque d’instrumentalisation des pratiques philosophiques. D’autres préoccupations pourraient également être évoquées, comme celle d’éloigner les pratiques philosophiques de toute forme de moralisme.
Comment, dès lors, poursuivre des « visées de vies bonnes » en maintenant une posture d’impartialité lorsque nous mettons en place des démarches d’ERE associées à des pratiques philosophiques ? En ce sens, le recours à des savoirs issus de diverses disciplines, dont celles qui relèvent du domaine scientifique, peut contribuer, avec le recours aux pratiques philosophiques, à créer des tensions entre différents types de rapports aux savoirs. En effet, alors que la philosophie est parfois vue comme associée à une forme de relativisme (plus particulièrement de type « absolu »), les sciences sont davantage perçues comme conduisant à l’établissement de connaissances « vraies » et « objectives » (Gagnon et coll., 2012). Il s’agit là, à notre avis, de dérives épistémologiques qui pourraient contribuer à créer un déséquilibre dans le maintien d’une posture enseignante fondée sur ce que nous pourrions qualifier, pour emprunter les mots d’Aurélien Barrau, de « relativisme de rigueur ».
Voilà donc esquissés certains liens, mais aussi des limites possibles au fait d’associer l’éducation relative à l’environnement aux pratiques philosophiques. Il s’agit ici d’une invitation à rassembler dans le prochain numéro 19.1 de la revue Éducation relative à l’environnement : Regards – Recherche- Réflexions,des articles sur la thématique d’une telle association pour le développement du pouvoir d’agir écocitoyen.
Les contributions peuvent être des synthèses de recherches théoriques ou empiriques, des revues d’écrits scientifiques, des commentaires analytiques, des études de cas, des récits réflexifs d’expériences pédagogiques, des évaluations de programmes ou de pratiques, ou encore, des notes de lectures. Nous vous invitons aussi à soumettre des projets d’articles destinés à la section Regards de la revue, qui regroupe de plus courts articles portant sur des pratiques éducatives ou des projets d’actions écocitoyennes inspirées d’une démarche philosophique (au sein d’un éco-quartiers, d’un groupe communautaire, de regroupements citoyens et autres) pour autant que le texte apporte un regard critique sur une telle expérience.
Quatre axes sont proposés afin d’explorer cette thématique, à savoir :
- Axe 1 : L’intégration des pratiques philosophiques en ERE et vice-versa : quels avantages, quelles limites et quels enjeux pour le développement du pouvoir d’agir écocitoyen des enfants, des jeunes et des adultes, dans des contextes d’éducation formels, non-formels et informels ?
- Axe 2 : La transdisciplinarité associée aux pratiques philosophiques et à l’ERE : quels potentiels pour le développement d’un agir écocitoyen critique, créatif et bienveillant ?
- Axe 3 : L’agir écocitoyen : quels modèles de pensée philosophique et,ou d’’ERE sont plus aptes à stimuler l’agir écocitoyen critique, créatif et bienveillant ?
- Axe 4 : ERE et pratiques philosophiques et vice-versa : quels enjeux pour la formation des personnes enseignantes ?
Calendrier :
- Soumission des résumés avant le 30 mars 2024
- Soumission du texte dans sa version intégrale avant 15 avril
- Publication du numéro : juillet 2024
En rappel, voici la procédure de soumission d’un projet d’article : https://journals.openedition.org/ere/592
Contact : revue.ere@uqam.ca